Jean Widmer, créateur de nombreuses identités visuelles, est un graphiste d’origine Suisse, né en 1929 à Frauenfeld. Son parcours, truffé de noms aussi populaires que celui du Centre Georges Pompidou, qui est une de ses réalisations les plus connues, a marqué le paysage visuel français. Il est également réalisé de nombreux projets sur la signalétique, le plus vaste d’entre eux étant la conception des pictogrammes touristiques des Autoroutes françaises.
De la Suisse à Paris
En 1950 il décroche un diplôme de décorateur de vitrines à Zurich où il vient de faire ses études sous la direction de Johannes Itten, peintre Suisse et ancien professeur de la célèbre école du Bauhaus. « Sa pédagogie était exemplaire. Il a formé un corps d’enseignants avancé tant sur le plan de la théorie que de la pratique » nous dit Jean Widmer dans une interview accordée à Olivier Michelon dans le Journal des Arts du 14 septembre 2001.
Son diplôme en poche, il se rend en France, aux Beaux-arts de Paris pour y compléter sa formation mais, comme il le dit lui même, il s’est « vite rendu compte qu’il y avait beaucoup à faire car le terme graphiste n’existait pas encore, seul existait celui d’affichiste ».
En 1953, à la fin de ses études, il passe une année en stage à l’atelier Tolmer, une des meilleures maisons d’édition et de cartonnage, située sur l’île Saint-Louis, avec le maître-imprimeur lithographe Fernand Mourlot. Il conçoit dans ce laps de temps des emballages de confiserie pour la chocolaterie parisienne Marquise de Sévigné.
Aux Galeries Lafayette la typographie devient graphisme
Il obtient son premier poste de directeur artistique à la Société Nouvelle d’Information et de Publicité (S.N.I.P.) de 1956 à 1959, mais il commence réellement sa révolution graphique en entrant aux Galeries Lafayette.
Il y succède jusqu’en 1961 à Peter Knapp, photographe, graphiste, peintre et cinéaste, également originaire de Suisse et renommé pour ses mises en page et photographies de mode. Confronté à l’image publique, Jean Widmer adopte alors une toute nouvelle approche dans laquelle il introduit entre autre une nouvelle utilisation de la typographie en tant qu’élément graphique (le style Bauhaus) et en incorporant des calligrammes.
Professeur aux Arts Décoratifs
À partir de 1960 il enseigne à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD), où il forme bon nombre de graphistes. Comme lui, d’autres Suisses, issus de l’école « Bauhausienne », sont entrés aux Arts déco pour enseigner et ont donc contribuer au développement du graphisme et de la typographie en France. Malgré tout, « le graphisme n’est pas très diffusé auprès du public français. La profession y est toujours beaucoup moins connue qu’en Suisse […] » même si, nous dit-il « sa qualité a certainement progressé ».
La photographie au Jardin des Modes
Après les Galeries Lafayette, il est directeur artistique du Jardin des Modes jusqu’en 1969. Il va revoir l’identité visuelle du magazine en commençant par le logo, puis la couverture qu’il fait ressembler à une affiche, et enfin la mise en page intérieure qu’il simplifie et unifie pour remettre en valeur les éléments.
Il modernise le journal, en utilisant la photographie et réduit de cette façon le fossé avec les magazines de luxe. Il nous dit que la photographie « permet d’appréhender plus directement et de façon plus réaliste les objets ». Il gère lui-même les séances photos, ce qui lui offre la possibilité de s’exprimer également en tant que photographe, et est ainsi l’un des premiers à utiliser la photographie mêlée à un travail typographique.
Création de son agence
Jean Widmer ouvre en son nom sa propre agence en 1969 (plus tard elle sera renommée Visuel Design) et il est sollicité la même année pour concevoir la ligne graphique du nouveau Centre de création industrielle, l’un des département du Centre Georges Pompidou, qui ouvrira ses portes en 1978, et dont il concevra l’identité visuelle.
La révolution de la signalétique
De 1972 à 1978 Jean Widmer conçoit l’animation touristique des Autoroutes françaises, avec la création de plus de 500 pictogrammes. Il réduit la représentation de lieux ou d’activités jusqu’à l’obtention d’une figure simple mais identifiable.
Pour les panneaux représentant les monuments, il se base sur des photos, et comme pour les pictogrammes il les dessine et les simplifie. Pour les distinguer des panneaux bleu de signalisation routière il utilise un fond brun.
La signalétique devient pour lui une spécialité, voire même un art discret, fondu dans le paysage familier des automobilistes et des piétons français.
Un graphiste reconnu, renommé et recherché
Pendant les quinze années suivantes Jean Widmer gagne des concours, reçoit des prix et des distinctions, refond et crée des identités visuelles, et participe à des projets de signalétique (voir encadré ci-contre). Il part, entre autre, du principe que le graphisme accompagne l’architecture via à la signalétique.
En 1994 il obtient le grand prix national des Arts graphiques décerné par le ministère de la Culture et de la Francophonie. Il crée cette année là les affiches et les produits dérivés des Cinquièmes Rencontres internationales des arts graphiques de Chaumont, il conçoit la signalétique des Aéroports de Paris, et travaille également pour la Bibliothèque Nationale de France.
Au cours de sa carrière il a également travaillé pour la ville de Berlin, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, ou encore la Cité de la musique.
Du Bahaus à l’école Suisse
Ainsi, Jean Widmer est l’un de ceux qui ont fait évoluer le graphisme et changer son impact. Toutes les signalétiques et les identités visuelles publiques (transports, musées…) qu’il a conçut ont participé à la transformation du quotidien des français pour tenter de le rendre non seulement plus objectif et lisible mais aussi plus cohérent, et plus riche, le tout en y apportant un certain esthétisme.
Ses travaux, simples et forts, sont reconnaissables grâce à leurs lignes claires et aux couleurs vives, utilisées en à-plats, qui donnent à l’ensemble un style figuratif remarquable. Le style Allemand dit Le Bauhaus (1919 – 1933) est très présent dans tous ses travaux, où la simplification et l’ordre sont de mise, jusqu’à obtenir un résultat épuré et symbolique. Ses compositions peuvent parfois sembler abstraites mais se révèlent la plupart du temps d’une rare efficacité car à la base de ses compositions il y a des notions concrètes telles que le sens et la signification.
Dans les années 1950 il a apporté son style à un nouveau mouvement en participant à la création de ce que l’on appelle communément l’école Suisse, « privilégiant la visibilité de l’information en exploitant le fonctionnalisme comme forme esthétique » selon Margo Rouard-Snowman, auteur de « Jean Widmer, graphiste, un écologiste de l’image ».
Le style Suisse, nommé ainsi pour son origine zurichoise, se définit principalement par l’utilisation nouvelle, de grilles typographiques. Celles-ci accentuent la rigueur des styles modernes par une mise en page de plus en plus rationalisée.
Le graphiste et le graphisme
Son statut d’enseignant lui a permis de former de nombreux graphistes et de leur faire profiter de son expérience. À travers leur apprentissage et ensuite à travers les travaux de ces élèves devenus graphistes, Jean Widmer à contribué indirectement mais assez largement à créditer la profession. Mais il y a aussi contribué, directement cette fois et de manière ciblée et visible par tous, grâce aux concours institutionnels des années 80. Il a remporté la Bibliothèque Nationale de France, l’Institut du Monde Arabe, ou encore le Musée d’Orsay, et selon lui ces concours ont largement favorisé le développement du graphisme en France.
« Il s’agit de promouvoir le graphisme » dit-il à Olivier Michelon, au sujet de l’outil informatique qui a mis à la portée de tous des outils de graphismes. La typographie et la mise en page dans les traitements de texte ont handicapé la profession. « Aujourd’hui, […] le graphisme se libère, il n’y a pas de domination, seules priment la qualité, la créativité et l’originalité ».
Bio
1977 – 1978 : il conçoit l’identité visuelle et la signalétique du Centre Georges Pompidou (Musée national d’art moderne, Bibliothèque publique d’information, le Centre de création industrielle, et l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique).
1980 : il recoit le prix Toulouse-Lautrec et le prix d’excellence à Essen et à Munich pour l’affiche de la Kieler Woche.
1983 : il est nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres et reçoit le Janus du design, label décerné par le ministère de l’Industrie et du Commerce extérieur pour l’identité et la signalétique du Musée d’Orsay.
1983 – 1987 : il travaille pour Musée d’Orsay, et conçoit entre autre un timbre-poste à l’effigie du musée.
1985 : il étudie la signalisation réglementaire pour les Autoroutes françaises.
1989 : suite à une commande du ministère de la culture et de la communication, pour l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, il réalise deux types de caractères dont la typographie nommé bi-89.
1989 : il participe au projet signalétique « Autrement Bus » de la RATP.
1990 : il conçoit l’identité visuelle et la signalétique de la Galerie nationale du Jeu de Paume.
1991 : il est nommé Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
1992 : il reçoit le Distinctive Merite Award de l’Art Directors Club 6th International Exhibition of New-York.