Analyse d’oeuvre : Terrasse du café le soir

analyse d'oeuvre, couleurs, terrasse du café le soir, van gogh - Julie Mercey - Graphiste - Lozère Cévennes

Vincent Van Gogh, né en 1853 aux Pays-Bas, est l’un des peintres les plus connu au monde. Son style bien particulier a été influencé par l’impressionnisme et le néo-impressionnisme. Il fait partie, auprès de Gauguin et Cézanne, des peintres postimpressionnistes qui ont influencé l’expressionnisme et le fauvisme.
Au cours de sa vie il a créé plus de 2 000 œuvres, toiles et dessins, pourtant sa carrière de peintre fût courte, elle dura une dizaine d’années, et s’est achevée par son suicide en 1890, il n’avait que 37 ans.

Début 1888 Van Gogh est parti s’installer à Arles. A la fin de l’été, il a peint Terrasse du café le soir sur la place du Forum du quartier de la Cité, à quelques rues des Arènes. Il représente donc le café qui, à cette époque, s’appelait la Terrasse, et a depuis été renommé Café Van Gogh.
Ce tableau, exposé au musée Kröller-Müller d’Otterlo aux Pays-Bas, est une œuvre en plein air, caractéristique du peintre et des impressionnistes en général. C’est une peinture à l’huile sur toile qui mesure 80,7 centimètres de haut sur 65,3 de large.

 

Le sujet principal de ce tableau est donc cette terrasse de café, vue de côté, à la nuit tombée. En effet, au lieu de se mettre au centre de la place, face au café, le peintre s’est installé sur le côté, près du mur de la bâtisse voisine pour faire face à la terrasse dans sa longueur. Ce point de vue, adopté par le peintre, apporte une grande profondeur à la composition et dirige l’attention sur l’animation et la vie du lieu plutôt que sur le café en tant que bâtiment. Toutes les lignes de perspectives filent vers le fond de la terrasse et attire l’œil vers les clients attablés et le serveur, puis dans un deuxième temps vers cette rue qui se perd dans la nuit et accentue par sa présence la profondeur du tableau. La composition comporte une dominante de jaune et de bleu qui au premier abord marque la présence du contraste de la couleur en soi. Elle contient malgré tout toutes les couleurs du cercle chromatique, même si le rouge est peu présent, ainsi que le noir et le blanc, De plus beaucoup de contrastes sont présent dans l’œuvre.

La terrasse est lumineuse, elle captive l’œil de jaune et d’orange parsemés de pointes de verts. Ces couleurs claires et chaudes contrastent fortement avec les autres éléments du tableau composés de couleurs froides et sombres, des bleus, verts, violets et du noir. Ce sont donc les contrastes clair-obscur et chaud-froid que l’on retrouve principalement sur ce tableau.
Sur toute la surface de la terrasse, au-dessus des clients, le store irradie de lumière jaune d’or. Le bord supérieur de sa surface crée un contraste chaud-froid entre les nuances chaudes de jaune et orange et celles froides des bleus du ciel et des bâtisses au-dessus du café. Le bord droit du store crée, lui, un contraste plus proche du clair-obscur avec le noir de la nuit au fond de la rue, ce qui souligne la présence du sujet en le poussant vers le premier plan, et accentue l’effet de profondeur.

Le sujet est tenu, au premier plan sur la gauche, par une partie de l’embrasure de la porte voisine. Peinte avec des nuances de bleu, elle apporte, elle aussi, accolée à la terrasse, un double contraste, chaud-froid et clair-obscur. Elle permet d’encadrer la terrasse sur ce côté du tableau, de maintenir la verticalité du café, et surtout de contenir l’attention sur le sujet principal, la terrasse. Le vert, sur le côté et le dessus de l’embrasure, tempère ces contrastes pour ne pas atténuer celui qui oppose la terrasse à la nuit.

Toujours au premier plan, on retrouve du vert en haut à droite avec l’entrée dans le cadre, de la branche d’un arbre de la place. Elle fait écho au store de la terrasse par sa forme et sa position, et par sa proximité elle accentue la perspective du tableau en suggérant de manière plus matérielle la position de l’observateur ce qui permet de poser plus concrètement les différents plans.
Sous cette branche, au coin de la place, en face du café, une boutique en angle est éclairée. Tout comme l’embrasure bleue de la porte à gauche du café, les couleurs chaudes, jaune et orange des fenêtres de la boutique permettent d’équilibrer la composition du tableau pour maintenir l’attention sur le sujet. Au-dessus de cette boutique et sur les bâtisses qui la prolonge dans la rue, on distingue les lumières des habitations représentées par des touches de couleur orange. Ici un contraste de quantité est créé sur la façade entre la couleur bleu foncée et la lumière des fenêtres faites de petites touches de orange.

Ce contraste se retrouve aussi dans le ciel. Les étoiles jaunes et blanches en forme de fleurs, créent, malgré leur taille imposante, un contraste de quantité avec la dominante bleue.
En arrière-plan, l’élément identifiable le plus éloigné est le fiacre au centre de la composition, qui arrive vers la place depuis la rue sombre face au peintre. Plus en avant, quelques personnes sont visibles dans la rue, deux marchent au fond près du cheval, puis à hauteur de la terrasse des gens et les pavés, sont éclairés par la lumière. A cette hauteur, on distingue un homme se dirigeant vers le café, il croise une femme, et un enfant semble s’être arrêté et regarder vers la terrasse. Une dizaine de clients y sont attablés vers le fond, personne n’est installé sur les tables disposées sur les pavés. On voit un serveur au milieu de la terrasse et une silhouette à la porte du café.

Un contraste clair-obscur se dessine sur cette terrasse avec les personnages. Le serveur ressort fortement, en blanc, tout comme le dessus des tables, et contraste avec les clients du fond, représentés en noir. Ceci accentue leur éloignement et ancre la présence du serveur. La personne à la porte du café est également une silhouette sombre ce qui la détache du mur jaune et de l’encadrement orange de la porte.

Le point de fuite de la perspective, qui se situe à peu près au coin supérieur droit de la fenêtre au cadre vert situé au bout de la terrasse, est légèrement excentré du centre géométrique de la toile. Ceci donne une légère direction du sujet vers le ciel étoilé, et une dimension supplémentaire à ce ciel bleu piqué de jaune et aux contrastes chaud-froid et clair-obscur. Autour du point de fuite, et entre les lignes de fuite du ciel et de la terrasse, une symétrie est créée entre des étoiles blanches d’une part et le dessus des tables et le vêtement du serveur d’autre part.
Enfin, les deux zones principales, les couleurs de la terrasse, mais aussi celles du ciel et du dessus du café, sont deux zones distinctes peintes l’une avec un camaïeu de jaune-orangés et l’autre avec un camaïeu de bleus rehaussé de touche de blancs.

La symbolique des couleurs associée au contexte suggère que la présence massive de jaune et de orange évoque la joie et l’entrain, ce qui rend le lieu accueillant, attirant et engageant. Le bleu, sombre, à l’opposé, mélé de violet, et accolé au noir, évoque la pénombre, est synonyme d’inconnu, de mystère et de peur. Ces deux principales zones colorées forment un contraste symbolique entre la lumière et les ténèbres qui permet un début d’interprétation.

 

En septembre 1888, lorsqu’il peint ce tableau, Van Gogh est fasciné par les changements de couleurs du crépuscule. A cette période, les scènes vespérales et nocturnes reviennent de manière récurrente dans ses tableaux. Dans sa toile Nuit étoilée à Saint-Rémy l’apparition des étoiles et de la lune est fortement mise en scène, et sur son tableau Nuit étoilée sur le Rhône on retrouve, magnifiques, les lumières artificielles qui scintillent et se reflètent sur l’eau. Millet, Delacroix, Rembrandt, et Monet font partis des peintres célèbres de son époque qu’il a admiré pour avoir su représenter l’obscurité grâce à la couleur. Il a écrit : « Souvent, il me semble que la nuit est bien plus vivante et richement colorée que le jour ». Terrasse du café le soir est la plus connue des scènes de nuit de Van Gogh, et peut-être cela est-ce dû entre autre au fait qu’elle est son œuvre la plus proche de ce qu’il cherchait à représenter à cette période là. Les contrastes de son tableau, le clair-obscur et le chaud froid, évoque ici les contrastes de la nature tel que le jour et la nuit, la chaleur et le froid, mais aussi celui de la solitude face à la foule.

La position de côté, plutôt que face au café, lui apporte un point de vue indirect et discret sur la scène, comme s’il l’épiait pour ne pas la perturber. Il fait ressortir de sa toile une ambience chaleureuse, gaie et conviviale au milieu d’une nuit noire bien qu’étoilée, voire ténébreuse dans les petites ruelles citadines. Et justement, l’enfant, dont le corps est tourné en direction de la rue sombre, regarde vers le café comme attiré plutôt par cette terrasse, vers ce serveur habillé de blanc qui accueille les gens dans cet endroit chaleureux et rayonnant, que par ce qui l’attend face à lui. La terrasse est là pour prolonger la journée, pour braver la nuit et la solitude.

A cette époque de sa vie, Van Gogh est venu à Arles pour une remise en question de sa technique de peinture, il cherche à s’exprimer différemment et tente de faire évoluer son art. Mais il est venu aussi pour une autre raison, celle de l’annonce du prochain mariage de son frère, qu’il vit comme une forme d’abandon.

Ainsi peut-on se demander si ce petit garçon ne serait pas une projection personnelle du peintre. L’enfant ne cherche peut-être pas tant à prolonger sa journée ou à éviter le noir qu’à se sentir moins seul et protégé de la solitude auprès de tous ces gens, sous ce couvercle de lumière, ce bouclier que forme le store irradié.

Ce qui nous ramène au serveur de la terrasse, qui semble être la source de la scène, voire le premier rôle de la scène. Au centre du sujet, au milieu de la terrasse, toute la composition amène vers lui, comme s’il était la source de l’activité, le centre sans lequel les autres personnages n’auraient pas leur place ici durant la nuit. Les clients se serrent autour de lui, dans la lumière, comme s’il en était la source, et donne ainsi à cette mise en scène un aspect spirituel qui rappelle la vocation religieuse de Van Gogh. Cet agencement met par là même en avant l’effet mirroir entre le blanc du serveur et des tables et celui des étoiles. Comme si finalement elles s’étaient invitées au café pour profiter elle aussi de cet endroit chaleureux ou alors comme si le café voulait prendre la place des étoiles durant la nuit.

 

Tout ce qui a entraîné son arrivée à Arles a provoqué chez Van Gogh un élan vers des scènes de plus en plus colorées, et, si la lumière du soir le fascine, une fois le soleil couché il lui faut une autre source de lumière et de chaleur pour donner vie à ses tableaux. Ici une belle source de lumière éclaire la terrasse, et au-delà touche les passants et les tables sur les pavés. Tous se retrouvent, baignés de couleurs, jaunes, rouges, bleus, verts et prennent vie. On entendrait presque les bavardages venant de la terrasse et, dans le lointain, les sabots du cheval qui approche.

La seule chose dont on peut être sûr dans les intentions réelles de Van Gogh quant à son œuvre est ce qu’il en dit lui-même dans cet extrait épistolaire aussi coloré et vivant que son tableau : « Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs. Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prend une teinte de violet rose. Les pignons des maisons d’une rue qui file sous le ciel bleu constellé d’étoiles, sont bleu foncé ou violets avec un arbre vert. Voilà un tableau de nuit sans noir, rien qu’avec du beau bleu et du violet et du vert et dans cet entourage la place illuminée se colore de soufre pâle, de citron vert. Cela m’amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d’après le dessin. Mais moi je m’en trouve bien de peindre la chose immédiatement. Il est bien vrai que dans l’obscurité je peux prendre un bleu pour un vert, un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu’on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c’est le seul moyen de sortir de la nuit noire conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. »

La réalisation de ce tableau est un chef d’œuvre de l’impressionnisme, Van Gogh a réussi à faire vivre tous les éléments de la scène malgré le statisme inhérent à cet art. Il a également réussi, comme il le recherchait, à utiliser de la couleur, et qui plus est sans la lumière du soleil, et à représenter un ciel étoilé. Son tableau la nuit lumineuse et vivante, et parvient à montrer que la nuit est parfois « bien plus vivante et richement colorée que le jour ».

Son obsession de vouloir représenter un ciel étoilé l’a conduit à créer une œuvre qui montre que les étoiles ne sont pas uniquement dans le ciel.